Listes transnationales vs. Partis politiques transnationaux Pour une vision fédéraliste de long terme

Avertissement : les tribunes sont des contributions individuelles de sympathisants du mouvement au débat et ne reflètent pas nécessairement les positions de celui-ci.

, par Pierre Jouvenat

Listes transnationales vs. Partis politiques transnationaux

Les fédéralistes militent pour une Union européenne dotée d’institutions fondées sur les principes du fédéralisme. En toute logique, ils doivent souhaiter également l’émergence de partis politiques transnationaux interagissant avec les institutions aux différents niveaux de la fédération. En dépit de la crise de légitimité dont souffrent aujourd’hui les partis politiques traditionnels, ceux-ci conservent un rôle essentiel lié à notre démocratie représentative. Ils sont appelés à participer à l’animation du débat public européen et ainsi contribuer à la création d’une société civile européenne. Ils demeurent incontournables dans tout processus électoral. Leur action en tant que force de proposition devrait évoluer avec le déplacement progressif du pouvoir politique du national au fédéral, ainsi qu’avec la politisation accrue des institutions fédérales, que ce soit selon le clivage traditionnel gauche-droite ou autour de mouvements politiques novateurs. Dans la perspective ultime d’une Europe fédérale, où existera un réel pouvoir à conquérir au sein des institutions fédérales, les partis politiques devront redéfinir leur mode opératoire et leur structure organisationnelle, devenir transnationaux et opérer eux aussi selon les principes du fédéralisme. Niveau décisionnel des politiques à mener et niveau d’action des partis vont de pair. Il est donc essentiel que les fédéralistes intègrent cette dimension dans leur réflexion stratégique et prennent de la hauteur dans la définition des priorités.

Dans ce contexte, les listes transnationales pour les élections au Parlement européen ne présentent aucun intérêt. Bien au contraire. Au-delà de plusieurs défauts intrinsèques (députés hors-sol, parlement à deux niveaux, sélection problématique des candidats, mécanisme favorisant les pays à fort réservoir de voix, listes nécessairement limitées à un faible nombre de sièges… ) elles sont surtout contre-productives au regard de la création de partis transnationaux. Elles diviseraient au lieu de rassembler, en perpétuant la distinction entre partis européens et partis nationaux au sein d’une même famille politique. A chacun sa liste ! Elles sont aussi dangereuses par leur très probable impact électoral. La cohabitation de listes européennes et de listes nationales ne pourrait qu’amener l’électeur, non sans raison d’ailleurs, à établir une distinction entre des candidats ayant une vision européenne et des candidats supposés défendre les intérêts nationaux au sein des institutions européennes. De quoi renforcer le caractère national de ces élections, soit tout le contraire de l’objectif poursuivi [1] . Et s’agissant de défendre les intérêts nationaux, ce sont bien sûr les partis populistes et europhobes qui sont les mieux placés. On ne peut que s’étonner d’un tel aveuglement de la part des promoteurs de ces listes qu’ils défendent avec tant de passion et d’obstination.

Car si l’intention est de créer un débat européen autour de projets européens centrés sur les enjeux de portée européenne, pourquoi ne pas chercher à étendre ce débat à l’ensemble des candidats ? Il suffit pour cela de mettre les partis européens en première ligne, non seulement pour un petit nombre de sièges (25, 73, 30, 43…, les propositions foisonnent !), mais pour la totalité des sièges à pouvoir. Si on juge les partis européens capables de faire campagne pour une poignée de sièges (a-t-on seulement pensé comment ?), ils peuvent aussi bien le faire pour la totalité. L’investissement humain et matériel est le même !

Dans les Etats fédéraux où les partis politiques sont bien intégrés à l’échelle de la fédération (la Suisse en est le meilleur exemple), les élections aux instances fédérales se déroulent le plus souvent, et sans problème, comme pour les élections européennes aujourd’hui : circonscriptions locales, candidats sélectionnés et campagnes menées par les instances locales des partis, répartition des sièges entre partis au sein des entités fédérées dans la limite des quotas prédéfinis (à l’exception notoire de l’Allemagne qui a un système plus compliqué). L’UE ne disposant pas encore de partis transnationaux, la seule manière de véritablement européaniser les élections est d’attribuer les voix aux partis européens (comme le feraient les listes transnationales, mais alors pour tous les sièges), sans qu’il soit pour autant nécessaire de renoncer aux circonscriptions locales et aux quotas nationaux, ce qui devrait rendre une telle proposition plus acceptable politiquement. Les mathématiciens ont déjà une formule toute prête, celle de la « double proportionnalité », selon laquelle les sièges sont attribués en tenant compte, d’une part, des quotas nationaux et, d’autre part, des résultats des partis politiques, ceci à l’échelle de l’Union lors d’une première répartition [2]. Les avantages sont multiples :

  1. campagnes conçues et coordonnées au niveau européen, donc pan-européennes, et exécutées de manière décentralisée par les partis nationaux, renforçant ainsi les synergies au sein d’une même famille politique ;
  2. propagande électorale alors nécessairement basée sur le manifeste du parti européen ;
  3. bulletins de vote comportant les logos du parti européen et des partis nationaux affiliés, l’électeur étant cependant informé que son vote est attribué directement au parti européen, l’effet psychologique qui en résulte permettant de clarifier les enjeux de l’élection ;
  4. un nombre limité de candidats au sein de la circonscription locale permettant d’introduire le vote préférentiel, voire même le système allemand ;
  5. des élus identifiés à un des partis européens dotés de la personnalité juridique européenne et non plus à une multitude de partis nationaux, renforçant ainsi la légitimité du Parlement ;
  6. un parlement dont l’homogénéité est préservée, tous les députés étant élus selon la même procédure.

Les listes transnationales ne sont pas la bonne stratégie pour européaniser les élections. Ce n’est en aucun cas une approche fédéraliste, celle-ci devant plutôt favoriser la création de partis transnationaux. Tout au plus pourra-t-on les envisager ultérieurement comme une cerise sur le gâteau, élargissant le choix de l’électeur à des candidats résidant hors de la circonscription locale, mais seulement lorsque celui-ci aura appris à distinguer les enjeux respectifs des élections locales, nationales et européennes. Et cela restera une question bien mineure au regard des défis que pose la démocratie européenne. Donner à un citoyen marseillais lambda la possibilité de voter pour une forte personnalité européenne d’origine lithuanienne, ce qu’il ferait sans conviction, ne crée pas un dèmos européen.

Et les Spitzenkandidaten, nous dira-t-on ? Le mode d’élection du président de la Commission est devenu au fil du temps le principal argument en faveur des listes transnationales. Or, c’est un faux problème qui résulte du flou du Traité de Lisbonne, un flou qui entretient la guéguerre et les luttes d’influence entre institutions de l’UE, sans parler des calculs politiciens (Emmanuel Macron), voire les ambitions personnelles (Guy Verhofstadt). Tout cela a peu à voir avec la démocratie. Cette question doit donc être traitée séparément et explicitement. Au choix : une élection au suffrage universel ou conformément à un régime parlementaire. Dans la seconde hypothèse, au sein d’une fédération le président de l’exécutif devrait idéalement être désigné par les deux chambres (parlement et sénat) réunies en Congrès. Cela devrait être le vrai combat des fédéralistes. Dans l’immédiat, lors des élections européennes les candidats peuvent se profiler comme chef de file ou de campagne de leur parti, sans nécessairement être tête de liste.

Militer pour des partis transnationaux est bien sûr plus ambitieux que de soutenir la proposition de listes transnationales. La création de tels partis suppose une clarification et une convergence de l’offre idéologique au sein d’une même famille politique, s’agissant pour le moins des enjeux européens. La législation européenne devra évoluer pour favoriser ces rapprochements. Une révision de l’Acte électoral en faveur des partis européens serait une première étape, entraînant inévitablement des ajustements parmi les alliances actuelles, au bénéfice d’une plus grande homogénéité. De même, proposer un vrai mode d’élection pour le président de la Commission est plus ambitieux que de se contenter de tirer le meilleur parti du flou actuel. Mais dans les deux cas les bénéfices pour la démocratie européenne, la création d’un dèmos européen, sont sans commune mesure avec ce que l’on pourrait attendre des listes transnationales. On est dans une toute autre dimension, il y a là une véritable vision de long terme.
Les listes transnationales relèvent du gadget. Un gadget dangereux, de surcroît.

Pierre Jouvenat
29 octobre 2017

P.-S.

Nota Bene : L’UEF-France comme l’UEF-Europe sont en faveur de listes transnationales pour les élections européennes, comme proposé également par le président de la République française. Lire la résolution adoptée par l’Assemblée générale du 7 octobre 2017 : Résolution Renforcer la démocratie

Photo © Union européenne 2017 - Parlement européen". (Attribution-NonCommercial-NoDerivatives CreativeCommons licenses creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/)

Notes

[1La comparaison avec le mode d’élection au Bundestag est fallacieuse. En Allemagne, l’électeur dispose de deux voix pour combiner scrutin uninominal majoritaire (les Direktkandidaten, avec autant de circonscriptions que de sièges à pourvoir) et scrutin de listes à la proportionnelle (Landesliste, soit au niveau des Länder). Il n’y a pas de listes trans-Länder en Allemagne ! Ni même d’exemple significatif de circonscription unique dans le monde.

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