Brexit : ultimatum et coup de poker britanniques

Avertissement : les tribunes sont des contributions individuelles de sympathisants du mouvement au débat et ne reflètent pas nécessairement les positions de celui-ci.

, par Jean-Guy Giraud

Brexit : ultimatum et coup de poker britanniques

Union Jack - Valéry-Xavier Lentz

Une certaine allergie génétique britannique

Considérant la nouvelle attitude quasi-provocatrice prise vis à vis de l’UE par certains membres du Gouvernement May depuis quelques jours, il peut être utile de rappeler très schématiquement le contexte historique du Brexit dont il ressort que le malaise britannique au sein de l’Europe est très largement de son fait :

  • après avoir refusé de faire partie de la CEE en 1956, le RU a d’abord essayé de monter une organisation “rivale” (l’AELE) ; peu de temps après son adhésion en 1973, il a organisé un référendum (1976) mettant déjà en cause cette adhésion,
  • depuis son entrée dans l’UE, le RU a refusé de participer à plusieurs politiques communes (Schengen, Euro, JAI, Charte) et a constamment freiné tous les efforts visant à renforcer l’Union (notamment lors de la rédaction du Traité de Lisbonne) ou certaines politiques (PAC,PESC, budget…) ,
  • en 2015, le premier Ministre conservateur David Cameron a engagé le pays sur la voie d’un nouveau référendum sur l’appartenance du RU à l’UE - décision essentiellement motivée par le souhait de résoudre des divisions internes au sein du parti conservateur,
  • le référendum du Brexit de 2016 a été basée sur la vision artificielle d’une “Glorious/Global Britain” - entraîné par une presse populaire vivement et de longue date euro-sceptique et par une coalition Establishment/Parti Conservateur, partisane du modèle économique ultra-libéral dit “Singapourien”,
  • la faible majorité en faveur du Leave (52%) a été facilitée par l’exclusion du vote de près d’1 million d’expatriates - s’est basée sur des motifs fallacieux ou artificiels (cf. immigration, coûts budgétaires, souveraineté, …) - a été acquise grâce au vote des populations les plus âgées, les moins éduquées et les moins urbanisées - et s’est imposée à l’Écosse et au Pays de Galles tous deux majoritairement anti-Brexit,
  • la position de négociateur du RU face à l’UE a été constamment embrouillée par des incertitudes constitutionnelles et de multiples désaccords au sein même du Gouvernement (nombreuses démissions), du Parlement et du parti conservateur,
  • après une longue période d’attente et de confusion, les demandes initiales du RU se sont révélées totalement inacceptables pour l’UE - la proposition la plus récente de Mme May (désavouée par une partie de son propre Gouvernement) comportant toujours des clauses incompatibles avec le droit européen, avec les précédents en matière d’accords d’association ou avec les intérêts fondamentaux de l’UE,
  • l’opinion publique britannique est de plus en plus désorientée par la tournure inattendue prise par le Brexit - et les appels à un nouveau “vote populaire” (élections ou référendum) sur le résultat futur des négociations (voire sur le Brexit lui-même) se multiplient, jetant un doute sur l’aboutissement de l’ensemble du processus.

Le coup de poker de l’ultimatum

Vu ces précédents et cette situation, l’arrogance avec laquelle certains des ministres (provisoires ?) du Gouvernement May accompagnent la “proposition des Checkers” d’un ultimatum type “take it or leave it” - et somment l’UE de ne plus “temporiser”, est choquante.

Il est vrai que l’objectif véritable de bon nombre de membres du Gouvernement, étroitement liés à l’Establishment, a depuis l’origine été la sortie “sans accord” de l’UE, cad une libération immédiate et totale de tous liens juridiques et politiques avec Bruxelles. Tout en conservant bien sûr le plein accès aux marchés commerciaux et - surtout - financiers continentaux.

Dans ce contexte et face à ce coup de poker, on voit mal pourquoi l’UE accepterait de se lancer de toute urgence dans l’aventure d’un “bespoke agreement" (même taillé par les meilleurs costumiers londoniens de la gentry) qui mettrait en danger son propre système institutionnel, économique et commercial.

Certains politiciens et commentateurs britanniques ont qualifié le résultat du referendum comme “an unholy alliance of English Golf Clubs and sans-culottes of globalisation”. Finalement, ce sont surtout des problèmes de politique intérieure britannique (ou, plus exactement, anglaise) qui ont dominé toute cette affaire du Brexit.

Le jeu demeure ouvert pour quelques semaines encore...

On verra, d’ici l’automne, comment évolueront encore les positions britanniques dont la direction vient d’être prise directement en mains par Mme May elle-même (son deuxième Ministre chargé du Brexit ayant été à son tour écarté des dernières discussions).

Un Brexit sans aucun accord de retrait peut certes survenir le 29 mars 2019 - avec des conséquences désastreuses de toutes natures.

Plus probablement, un accord confirmant les conditions de sortie et accompagné d’un cadre très général pour les relations futures pourra intervenir avant cette date. Mais cet accord devra également fixer les relations à maintenir entre l’UE et le RU pendant une période transitoire d’au moins dix huit mois pendant laquelle la négociation sur un accord durable d’ “association” devra être menée. La solution la plus simple serait - pendant cette période au moins - de maintenir autant que possible le statu quo actuel (“tout sauf les Institutions”) afin d’éviter un véritable cahos commercial (et peut-être financier) dans l’ensemble de la zone.

Contrairement à ce que prétendent certains (récents) ministres de Mme May, la balle est toujours dans le camp du RU. Il est encore possible de la replacer au centre et de laisser au camp britannique une chance de se ré-organiser. À défaut, cette équipe prendrait - devant son public - la responsabilité d’être simplement exclue du jeu.

La vie avec les britanniques au sein de l’UE n’a jamais été un long fleuve tranquille, le Royaume ayant constamment manœuvré pour en détourner le cours initialement fixé. Mais le poids des réalités géo-stratégiques et économiques l’a toujours emporté sur les crises momentanées d’allergie. Espérons que, d’une manière ou d’une autre, il en sera de même cette fois encore.

Jean-Guy Giraud 07 - 08 - 2018

Partagez cet article

  • Facebook icon
  • Twitter icon
  • URL courte :

Rejoignez l'UEF aujourd’hui

Vous souhaitez une Europe fédérale ? Alors agissez dès maintenant en rejoignant l’Union des fédéralistes européens.

Adhérer à l’UEF-France