État de droit : une marche arrière peu glorieuse

Avertissement : les tribunes sont des contributions individuelles de sympathisants du mouvement au débat et ne reflètent pas nécessairement les positions de celui-ci.

, par Michel Dévoluy

État de droit : une marche arrière peu glorieuse

Justice - duncanh1 via Flick - CC

Le dernier Conseil européen de décembre 2020 laisse un goût amer. Les premières réactions à chaud suggèrent l’idée d’un compromis prometteur sur le respect de l’état de droit. Mais la lecture attentive des Conclusions officielles de cette réunion révèle une autre tonalité.

Le Conseil européen du 21 juillet 2020 adopta deux lignes déterminantes pour le futur de l’Europe : le Cadre financier pluriannuel (CFP) définissant les budgets de la période 2021-2027 et le plan de relance exceptionnel “Next generation EU” lié à la crise du Covid. L’enjeu était de taille. D’abord par l’ampleur des sommes : un total de 1100 milliards d’euros pour les sept budgets annuels plus 750 milliards dédiés à la relance. Ensuite par la portée politique, car l’UE allait, avec l’emprunt pour Next generation EU, créer une dette commune, ce qui est une première. Le Conseil européen ne possédant pas le pouvoir législatif, ces directives nécessitent, comme toujours, l’accord du Conseil des ministres (le Conseil) et du Parlement européen (PE).

Soumettre la distribution des fonds européens au respect de l’état de droit était une question depuis longtemps dans l’air. Sujet très sensible, il restait en suspens. La perspective de devoir emprunter 750 milliards a accéléré les choses, notamment sous la pression des Etats “frugaux”. A
pporter de nouvelles subventions européennes aux Etats membres devait avoir une contrepartie par rapport aux valeurs. Le 5 novembre 2020, la majorité du Conseil et le PE se mirent d’accord sur l’instauration d’un mécanisme visant à conditionner le versement des fonds européens au respect de l’état de droit. Un beau principe était posé, fermement croyait-on.

La Pologne et la Hongrie étaient ici clairement visées. D’ailleurs, ces deux États ont immédiatement réagi en contestant la légalité d’un tel mécanisme au regard des traités européens. Et, surtout, en rappelant qu’ils avaient entre leurs mains une arme redoutable : le veto sur les budgets. Bref, ces deux pays détenaient la clé d’accès des 27 Etats membres aux 1850 milliards.

Leur menace était parfaitement crédible car les traités requièrent l’unanimité des Etats membres (c’est à dire du Conseil) à deux moments clés : l’adoption définitive du CFP (ici 1100 milliards) et la validation de nouvelles ressources propres (ici 750 milliards). Le dilemme était alors clairement posé : 1850 milliards ou état de droit ? Irait-on vers un compromis, un recul de la Pologne et la Hongrie ou un renoncement à des principes ?

La situation s’est débloquée au Conseil européen des 10 et 11 décembre 2020. Désormais, écrivent 27 Chefs d’Etats et de gouvernements dans leur Conclusion, le règlement sur la conditionnalité ne portera plus sur l’état de droit en tant que tel, mais sur la protection du budget de l’union.
Belle pirouette, chacun gardant la face. L’enjeu est clair : avancer vite afin de permettre aux fonds européens d’alimenter le plus rapidement possible les 27 budgets nationaux, particulièrement sous tensions.

Les Conclusions du Conseil européen sont en effet éclairantes et nous les résumons ci-après (pour le texte intégral, voir la partie “CFP/NEXT GENERATION EU”, Conseil européen Bruxelles, 11 décembre 2020, EUCO 22/20). https://www.consilium.europa.eu/.../europe.../2020/12/10-11/

Il est d’abord rappelé que l’Union est fondée sur des valeurs et sur l’état de droit.

Et qu’il existe des procédures spécifiques permettant aux Etats-membres de réagir aux violations de ces principes (articles 2 et 7 du TUE). Puis le registre change. Il n’est plus question des valeurs, mais d’un “régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union”.

Le Conseil européen souligne alors que la mise en pratique de ce futur règlement devra être conduite à la lumière de l’article 4, paragraphe 2, du TUE. Or cet article stipule que l’Union doit respecter les identités nationales des États membres, identités qui sont inhérentes aux structures politiques et constitutionnelles fondamentales.

En somme, l’accent passe du socle des valeurs communes au respect des spécificités nationales. Ceci n’a rien d’anodin.

Et le Conseil européen de poursuivre : “L’objectif du règlement relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union est de protéger le budget de l’Union, y compris Next Generation EU, sa bonne gestion financière et les intérêts financiers de l’Union”.

Mais ce n’est pas tout, car il est écrit plus loin :

“Les mesures au titre du mécanisme devront être proportionnées à l’incidence des violations de l’état de droit sur la bonne gestion financière du budget de l’Union ou sur les intérêts financiers de l’Union, et le lien de causalité entre ces violations et les conséquences négatives pour les intérêts financiers de l’Union devra être suffisamment direct et dûment établi. ​La simple constatation de l’existence d’une violation de l’état de droit ne suffit pas à déclencher le mécanisme.​ ” C’est nous qui soulignons, tant le propos est explicite. L’objectif de l’accord du 5 novembre entre le Conseil des ministres et le PE est donc oublié. L’état de droit est mis en sourdine, place à la sécurité financière et à la bonne gestion du budget. Pourquoi pas ! Mais alors comment soutenir qu’il s’agit ici d’un compromis par rapport aux positions initiales ? On a là une marche arrière, dissimulée.

Conformément au fonctionnement de l’UE, la Commission va désormais proposer un texte conforme aux directives du Conseil européen. Ensuite, le Conseil et le PE voteront le texte final. En cas de litige, il appartiendra à la Cour de justice de l’Union (CJUE) de veiller à la conformité du futur règlement aux principes posés par les traités.

En attendant, précise le Conseil européen, la procédure de validation du CFP 2021-2027 et du plan de relance Next generation EU doit aller rapidement jusqu’à son terme. Le Conseil des ministres et le PE vont donc devoir voter, le premier à l’unanimité. De plus, l’autorisation d’emprunt des 750 milliards d’euros devra être acceptée par les 27 Etats membres en fonction de leurs exigences constitutionnelles respectives. On est donc pas à l’abri d’une nouvelle surprise qui remettrait l’état de droit au centre des discussions.

Michel Devoluy, Président UEF Sud-France

Partagez cet article

  • Facebook icon
  • Twitter icon
  • URL courte :

Rejoignez l'UEF aujourd’hui

Vous souhaitez une Europe fédérale ? Alors agissez dès maintenant en rejoignant l’Union des fédéralistes européens.

Adhérer à l’UEF-France