Une « Europe Frankenstein » ? (Martin Schulz) Éditorial du 7 mars 2013

Avertissement : les tribunes sont des contributions individuelles de sympathisants du mouvement au débat et ne reflètent pas nécessairement les positions de celui-ci.

Une « Europe Frankenstein » ? (Martin Schulz)

Le président du Parlement Européen, M. Martin Schulz, a récemment attribué au modèle institutionnel européen le qualificatif inquiétant d’« Europe Frankenstein » (lors d’une conférence à Hambourg, le 4 mars 2013).

Il faisait implicitement référence à la répartition des pouvoirs entre le législatif (le Parlement Européen et le Conseil) et l’exécutif (la Commission) et au partage des compétences entre l’UE et les États membres.

Plus précisément, il critiquait l’insuffisance du contrôle démocratique sur la Commission et le fait que celle-ci dispose du monopole du droit d’initiative législative. Il souhaitait que les compétences principales de l’UE (commerce, environnement, finances, immigration, ...) soient exercées par un Gouvernement européen légitimé par le Parlement européen. Il estimait aussi, en référence aux déclarations de David Cameron, que certaines compétences européennes actuelles n’ont aucune « valeur ajoutée » et pouvaient donc être rapatriées au niveau national, etc.

Il concluait que face à ce mélange des pouvoirs législatifs et exécutifs, nous devons réformer la Commission et "parlementariser" l’Europe.

Le franc parler inusité du Président du Parlement Européen est le bienvenu dans la mesure où il met effectivement le doigt sur de réels problèmes de gouvernance européenne. Il est sain que le premier des représentants des citoyens européens se fasse l’écho du désarroi croissant de l’opinion publique vis-à-vis d’un « pouvoir » européen trop complexe, trop lointain et trop peu responsable. Ce faisant, il rejoint d’ailleurs, avec une autorité indiscutable, la cohorte des critiques du système européen qui fleurissent dans pratiquement toute la presse européenne.

Il est toutefois dommage que M.Martin Schulz n’utilise pas sa position privilégiée pour accompagner sa critique de propositions constructives permettant d’humaniser le monstre « Frankenstein ». Établir un diagnostic sans prescrire de remède, c’est trop ou trop peu. Si la critique est aisée et l’art difficile, le Parlement européen est tout de même bien placé pour se pencher -enfin !- sur les propositions de réforme du système institutionnel qui lui paraissent nécessaires. Il a su le faire à plusieurs reprises dans son histoire, par exemple en adoptant en 1984, grâce à Altiero Spinelli, un projet de Traité d’Union européenne ou, plus récemment, en apportant une contribution décisive au projet de Constitution européenne en 2003.

M.Martin Schulz sait que seul le Parlement Européen serait en mesure de relancer le processus d’union politique en initiant une procédure de révision constitutionnelle. Il sait que le Parlement européen peut, depuis le Traité de Lisbonne, rédiger lui-même des propositions et demander au Conseil d’en saisir une Convention.

Il sait qu’à défaut d’une telle perspective de réforme de l’Union, la prochaine élection du Parlement Européen ouvrira un boulevard aux extrêmes populistes ou nationalistes tout en crevant le plancher de l’abstention, risquant ainsi de dé-légitimer non seulement la prochaine assemblée mais aussi la Commission qui en résultera indirectement. Il perçoit bien la nécessité de donner aux citoyens une raison d’espérer un renouveau européen et d’opposer, dans la campagne de 2014, un contre projet à celui de David Cameron qui entamerait le processus de déconstruction de l’Union.

Qu’il invite donc sans délai la commission des affaires constitutionnelles du Parlement, qu’il préside encore pour 16 mois, à se saisir des graves questions qu’il soulève lui-même avec courage et clairvoyance. Qu’il charge parallèlement un groupe de personnalités de proposer les grandes lignes de cette réforme.

S’il parvenait à engager rapidement le Parlement Européen dans cette voie, que son successeur pourrait reprendre, Martin Schulz rendrait un grand service à sa propre institution mais surtout, plus largement, à l’Europe qu’il ambitionne sans doute de continuer à servir après 2014.

Pour éviter que l’« Europe Frankenstein » n’échappe à son créateur et ne s’autodétruise comme dans la légende, il faut impérativement en reprendre le contrôle. En 2009, près de 200 millions d’européens ont, d’une certaine façon, confié collectivement au Parlement Européen le sort de l’Europe. Celui-ci est clairement en jeu aujourd’hui. Il est temps d’agir.

Jean-Guy GIRAUD

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