À propos de La Double Démocratie

Avertissement : les tribunes sont des contributions individuelles de sympathisants du mouvement au débat et ne reflètent pas nécessairement les positions de celui-ci.

, par Pierre Jouvenat

À propos de La Double Démocratie

La Double Démocratie – Une Europe politique pour la croissance, essai de Michel Aglietta et Nicolas Leron (Seuil, janvier 2017)

Il faut relever d’emblée que l’ouvrage est centré sur les politiques économiques et monétaires, avec un accent particulier sur les questions budgétaires. Les auteurs soulignent tout d’abord que la méthode des petits pas, dite néo-fonctionnaliste, a atteint ses limites car elle a conduit l’UE à une crise de légitimité politique. Ils démontrent avec pertinence que dans le cadre du système politique européen caractérisé par un jeu complexe à deux niveaux (UE et États membres), L’UE est une polity qui impose aux États membres un ordre juridique (règles budgétaires et d’endettement public, règles de concurrence…), sans pour autant être en mesure de mettre en œuvre des politiques publiques mues par l’intérêt général européen (policies) et sans disposer de véritable vie politique (politics), ceci en raison notamment des carences liées aux élections européennes. Au niveau des États membres, les règles de l’UE ont pour conséquence de limiter le champ d’action possible de la puissance publique nationale (polity) ; elles amoindrissent les capacités macroéconomiques des États ainsi entravés dans la définition des politiques publiques (policies) ; et la mise sous tutelle du pouvoir budgétaire des parlements nationaux provoque un étouffement des démocraties nationales (politics). « Ordre juridico-politique de l’UE et ordres juridico-politiques nationaux sont mis en opposition frontale », et il en résulte un rejet de l’UE. Le constat n’est pas nouveau, mais la démonstration qui en est faite est particulièrement éclairante.

L’incomplétude de l’euro au niveau politique

Par ailleurs, l’introduction de la monnaie unique a provoqué une rupture du lien organique entre le souverain national et la monnaie, sans qu’il existe pour autant de puissance publique européenne en matière monétaire. Les auteurs s’étendent longuement sur les conséquences de la perte de souveraineté nationale et de l’incomplétude de l’euro au niveau politique : la « dévaluation interne » par une baisse des salaires et de la protection sociale pour demeurer compétitif ; l’auto-organisation du marché financier et l’expansion financière véhiculant l’ultralibéralisme, qui s’impose aux dirigeants politiques ; l’absence de lien entre monnaie et dette publique ainsi que l’absence de prêteur en dernier ressort rendant possible la faillite d’un État… Enfin, « en raison de sa nature même, le Conseil européen est dans l’incapacité de jouer le rôle d’un souverain collectif à même de définir et d’incarner l’intérêt général européen ».

Quels sont alors les choix possibles ? Le grand saut en avant fédéral ou le grand saut en arrière de la sortie de l’UE ? Les auteurs écartent d’emblée le fédéralisme, le jugeant « hors sujet » car « il n’y aura pas, d’ici un horizon politique raisonnable, de saut fédéral possible d’un point de vue politique, c’est-à-dire démocratique, voulu et assumé par les citoyens européens ». « Une dépossession de la souveraineté des États membres au profit de l’UE appellerait un acte constitutif au niveau européen, ce qui est hors de propos, du moins pour un futur envisageable ». Les auteurs renoncent donc au débat sur des considérations de « souveraineté juridique » ou « compétences juridiques », qui relèvent du fédéralisme, préférant avancer la notion de « puissance publique » que l’UE acquerrait si elle était dotée d’un budget européen alimenté par des ressources propres, si elle pouvait s’endetter sur les marchés financiers (euro-obligations), et si elle pouvait ainsi, notamment, mener une politique de croissance par l’investissement et réaliser des transferts positifs entre les nations.

La troisième voie

C’est donc une troisième voie, où le budget européen constitue le levier à actionner. Dans cette perspective, la « double démocratie » résulte de la dualité entre, d’une part, l’Europe puissance publique dotée de sa propre capacité budgétaire, exercée sous le contrôle démocratique du Parlement européen, et d’autre part le niveau démocratique des États membres qui recouvrent leur capacité budgétaire (aujourd’hui entravées par les nombreuses règles de l’UE), sous contrôle des parlements nationaux.

La démocratie au niveau européen

L’affirmation du besoin d’un budget européen disposant de ressources propres ; d’un Trésor européen ; d’une capacité réelle de l’UE de coordonner les politiques fiscales et économiques des États membres ; et de faire de la BCE le prêteur en dernier ressort, n’est pas nouvelle. Ces revendications sont incluses dans les trois rapports (Böge/Berès, Brok/Bresso et Verhofstadt) qui seront soumis le 14 février prochain au vote du Parlement européen. L’originalité de l’ouvrage est donc dans l’analyse du concept de la double démocratie. Or, on peut exprimer un doute sur la manière dont les auteurs conçoivent le fonctionnement de la démocratie au niveau européen. Le budget serait certes « dirigé par le Parlement européen » (quid du rôle du Conseil ?), mais il s’agit aussi de créer une « agence européenne de pilotage », indépendante, opérant « sous le contrôle d’une commission des parlements nationaux », cette dernière devant « définir les orientations d’une politique concertée que le Conseil européen validerait ». Les parlements nationaux seraient ainsi en charge de définir les politiques européennes ! Et il n’est pas précisé quelles seraient les modalités de décision au sein de cette commission. Dans l’ensemble, on reste donc dans la logique intergouvernementale, pourtant dénoncée par les auteurs. À cet égard, sont préférables les propositions du rapport Verhofstadt consistant à faire de toutes les configurations actuelles du Conseil (y compris le Conseil européen et l’Eurogroupe) une seconde chambre nommée Conseil des États, appelée, conjointement avec le Parlement européen, à co-légiférer (au vote majoritaire) et contrôler l’exécutif européen, la Commission, celle-ci étant chargée de la conception et de l’exécution des politiques publiques, notamment sous l’autorité de son ministre des finances.

Démocratie et fédéralisme

On est séduit par le titre du livre appelant à une « double démocratie ». Cependant, c’est bien dans la vision fédéraliste que ce concept se réalise le mieux. La double démocratie est alors, dans le contexte de la construction européenne, celle qui est exercée bien sûr à la fois au niveau des États membres et au niveau européen, mais la démocratie européenne s’exerce dans le cadre d’un système bicaméral composé du Parlement européen et d’un véritable Sénat, ce dernier étant de préférence élu au suffrage universel. Quant à la Commission, elle pourrait, à défaut d’un président élu au suffrage universel, être nommée par les deux chambres réunies en congrès (c’est le cas en particulier en Suisse, où cela fonctionne très bien). Dans tous les cas de figure, il appartient aux parlements nationaux de gérer les affaires nationales et aux instances européennes de gérer les affaires européennes. Car l’intérêt général européen et une vision commune du projet européen ne peuvent émaner de parlementaires préoccupés en premier lieu par les enjeux nationaux et qui n’auraient à traiter des enjeux européens qu’à la marge.

Malheureusement, les auteurs véhiculent, au travers de l’ouvrage, une opinion tronquée et négative du fédéralisme. Ainsi, par exemple : « un État fédéral qui absorbe les États fédérés » ou « une union fédérale où les États sont subordonnés à l’État fédéral ». Dans une saine vision du fédéralisme, les périmètres sont aussi bien juxtaposés que superposés. C’est donc plus subtile que cela. Et s’il est néanmoins vrai qu’en droit l’ordre juridique fédéral l’emporte sur les ordres juridiques des États fédérés, tout dépend de la manière dont s’exprime la démocratie s’agissant du pouvoir fédéral, justement (modes électoraux, démocratie directe par voie de référendum...)

Enfin, au-delà des politiques budgétaires, il existe bien d’autres défis à relever, dont l’indépendance énergétique, la protection de l’environnement, la révolution numérique, la défense, le terrorisme, les migrations… Les auteurs semblent considérer que le budget est un point de départ, un passage obligé, car il est la clé de l’instauration (en Europe) et de la ré-instauration (États membres) de la puissance publique, et par là même de la démocratie. « L’impulsion doit venir d’une accession du Parlement européen au statut de puissance publique en lui donnant la main sur un véritable budget européen ». « Une démocratie, c’est une puissance publique, c’est un parlement doté du pouvoir budgétaire ». « Il n’y a pas de société, de communauté politique, sans mise en commun, sans production de biens publics communs... », que seule la maîtrise du budget rend possible. C’est le point central du propos des auteurs. Cependant, l’Europe doit relever tous les défis qui appellent une réponse communautaire, et ceci immédiatement. Cet ouvrage ne répond donc que partiellement au mal européen. Et s’agissant des seules politiques budgétaires, suite à de brillantes démonstrations relevant tant du diagnostic que du remède, les ultimes propositions concrètes sont décevantes.

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