L’Ecosse contre-attaque

Avertissement : les tribunes sont des contributions individuelles de sympathisants du mouvement au débat et ne reflètent pas nécessairement les positions de celui-ci.

, par Giulia Querini

L'Ecosse contre-attaque

Une contre-attaque au Brexit, un référendum à prévoir, et l’UE à l’horizon : les résultats du vote écossais du 6 mai 2021 auront des répercussions importantes dans le futur de l’Union Européenne - et très probablement sur son futur fédéral.

Les écossais ont voté, le 6 mai dernier, pour les membres du parlement écossais, et décidé d’une victoire historique du Scottish National Party (SNP), le Parti National Ecossais, qui a presque obtenu la majorité absolue - 64 sièges sur 129. La Première Ministre écossaise Nicola Sturgeon, ainsi confirmée à la tête du gouvernement, a déjà annoncé à Westminster qu’un nouveau référendum pour l’indépendance aura lieu, pour répondre aux demandes de ces Ecossais qui se sentent trahis par les promesses non tenues du Brexit et frustrés par une relation non égalitaire avec Londres, où les parlementaires anglais peuvent décider du destin des Ecossais, mais pas l’inverse.

Encore une démonstration, s’il était nécessaire, de l’obsolescence de l’État-Nation et de l’inefficacité des capitales à répondre aux besoins des populations locales. Mais aussi une confirmation de la nécessité d’une Europe fédérale, et de la validité du projet européen : car si le SNP demande son indépendance de Londres, c’est aussi pour rejoindre à nouveau, à terme, l’Union Européenne. Une revendication “nationale” oui, mais pro-européenne.

Toutefois, une Ecosse européenne aurait encore trois écueils majeurs à surmonter, et son destin européen ne se jouera pas seulement à Londres, mais aussi bien plus au sud, à Madrid. Et inversement, elle peut jouer un rôle dans le destin des membres de l’Union.

Premièrement, l’Espagne, comme les autres États Membres de l’UE, a le droit de veto sur toutes les prochaines admissions au sein de l’UE, qui se décident à l’unanimité du Conseil. Une Ecosse qui deviendrait indépendante par un quelconque moyen non prévu par la loi - c’est à dire, à travers un référendum non approuvé par Londres - pourrait ne pas compter sur le support de l’Espagne, qui en 2017 avait déclaré inconstitutionnel le référendum indépendantiste catalan et ne souhaite pas accorder ni à Barcelone ni au Pays Basque un précédent historique. Il pourrait en aller de même pour Rome et Paris : ni l’Italie, pays déjà très régionaliste et dont l’identité nationale remonte à peine à 1861, ni la France, au contraire centralisée depuis des siècles, peuvent se permettre de suggérer de loin ou de près aux indépendantistes locaux (Vénétie, Corse, pour n’en citer que deux) de déclarer une scission unilatérale. Le premier écueil, donc, est d’obtenir un référendum légal approuvé par Downing Street. Avec les Tories de Boris Johnson au gouvernement, et une Reine Élisabeth II qui ne s’est pas encore exprimée sur le sujet - l’Ecosse ayant le même souverain que l’Angleterre depuis 1603 et faisant partie du même Royaume depuis 1707 - cela n’est pas pour l’instant évident.

Deuxièmement, si l’Ecosse devenait indépendante et demandait l’accès à l’UE, cela serait une première dans l’histoire de l’UE : un territoire qui auparavant faisait partie de l’UE, qui en est sorti et qui ensuite demanderait d’y accéder à nouveau. Il ne serait pas surprenant que Madrid, pour les mêmes raisons, demande à que l’Ecosse suive les procédures et contrôles prévus par les traités pour l’accès à l’Union Européenne, dans une politique “zéro privilèges”, pour dissuader encore une fois les indépendantistes catalans et basques de suivre leurs contreparties écossaises dans le futur. Il se peut que Rome et Paris suivent la politique de Madrid, mais ce processus sera aussi regardé attentivement par les Etats qui attendent depuis des années leur tour pour accéder à l’UE, notamment les Etats des Balkans, et cela même s’ils n’ont pas pour l’instant de droits de vote au sein du Conseil. Donner des privilèges d’accès à l’Ecosse, même en tant qu’ancien territoire de l’UE, pourrait facilement engendrer une vague d’indignation dans les populations de ces pays et les éloigner de la sphère d’influence européenne, si l’UE ne se montrera pas capable de suivre les règles de ses propres traités. Cette première jurisprudence écossaise, tout comme le Brexit l’a fait pour ceux qui veulent quitter l’Union, montrera le chemin, aussi compliqué soit-il, à d’autres régions, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Union. L’Écosse dira au monde : « Voilà ce qui se passe quand vous obtenez l’indépendance et demandez l’accès à l’UE ». Ce ne sera pas rien. Ce sera, pour le pire et pour le meilleur, le modèle de démantèlement du pouvoir central en Europe - encore une fois britannique, comme la République de Cromwell le fut pour la Révolution Française un siècle plus tard.

Enfin, si l’on suivra les actuelles règles d’accès à l’UE, l’Ecosse devra retravailler ses institutions pour parvenir à rejoindre les Etats Membres en tant que pair : une économie stable gérée par une nouvelle Banque Centrale, et des positionnements clairs sur le plan international et sur ses relations avec le Royaume Uni (ou ce qui en restera) et le Commonwealth via un nouveau ou une nouvelle Ministre des Affaires Étrangères, et plus important encore, le choix de l’Euro qui est prévu pour tous les nouveaux Etats Membres. L’Ecosse est-elle prête à renoncer à la livre et à reconvertir son économie en Euros, sachant que son seul voisin immédiat, le Royaume Uni, utilise une autre monnaie ? Le temps, et le SNP, nous le diront. Dans tous les cas, l’UE devra s’assurer que le nouvel État écossais ne soit pas économiquement dépendant de ses fonds (comme beaucoup de pays de l’ancienne URSS bénéficiant du fonds de cohésion régionale), mais qu’il puisse au contraire contribuer positivement à la balance budgétaire. Le pétrole écossais pourrait ne pas suffire. Rappelons que ce sont les Verts écossais qui soutiennent le SNP : ils devront démontrer qu’ils prennent le Green New Deal au sérieux et mettre à niveau les standards du pays, pour l’instant bien au-dessous des actuelles normes alimentaires en vigueur en Europe et de la neutralité carbone envisagée par l’UE. Rappelons en outre que l’un de ses produits phares, le saumon écossais (alimenté et coloré industriellement et objet de plusieurs documentaires de dénonciation) est en rivalité directe avec les saumons (d’élevage biologique) irlandais. L’Irlande, déjà irritée par les conséquences du Brexit à la frontière avec l’Irlande du Nord, aura aussi le droit de veto sur l’accès de l’Ecosse à l’UE et au marché unique : les défis pour le nouvel État ne manqueraient certainement pas.

Tous ces choix pèseront sur le Parti National Écossais, et plus particulièrement sur Nicola Sturgeon. En interne, elle devra éviter à tout prix les erreurs de Cameron avant le Brexit, et de Johnson après. En externe, elle devra jongler avec des États-Nations qui ne sont pas prêts à renoncer à des pouvoirs centraux désormais inadaptés aux défis du XXIème siècle, en même temps de plus en plus globaux et de plus en plus régionaux. Dans ce contexte, l’Écosse pourrait, à terme, indiquer un chemin fédéral d’une Europe vraiment “unie dans la diversité” : une Europe qui soit plus proche des citoyens et qui en reconnaisse les besoins locaux, tout en reconnaissant la nécessité d’une Union forte et solidaire sur le plan fiscal, social et international.

Le Manifeste de Ventotene nous le rappelle depuis 1941 : “La voie à suivre n’est pas facile, ni sûre, mais elle doit être parcourue, et elle le sera”.

Giulia Querini
chargée de mission auprès du bureau de l’UEF-France


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